Monsieur le Président de la République,
Depuis que l’État islamique a perdu ses derniers territoires en mars 2019, nombre de combattants étrangers sont détenus dans des camps de prisonniers tenus par les Forces démocratiques syriennes. On y compterait environ 200 enfants Français, en présence de leur mère ou isolés, parfois en bas-âge, et qui n’ont rien à voir avec la guerre ni avec le terrorisme international qui demeure l’appendice de « Daesh ».
Quand bien même des mineurs auraient-ils, à l’époque, participé à cette « guerre » ou à des actes criminels, ils relèvent des juridictions reconnues, en qualité d’enfants.
Votre faculté de nouer les relations internationales ne vous ont certes pas fait oublier que les traités, qu’il s’agisse de la Convention de Vienne sur les relations consulaires ou l’article 20 du Traité de l’Union européenne obligent chaque État partie d’assurer la protection de ses nationaux, quand bien même la France a-t-elle été contrainte de fermer son ambassade à Damas et ne peut conclure d’accord avec une entité qui n’est pas reconnue sur le plan international. D’ailleurs, à maintes reprises, l’armée française et les services de l’État ont entretenu des rapports étroits avec les autorités qui, de fait, dirigent cette portion du territoire syrien, notamment pour présenter des détenus aux autorités judiciaires irakiennes.
Selon ce qui est rapporté d’une conférence de presse tenue au Kenya en mars 2019, vous auriez déclaré : «Pour ce qui est des enfants, c’est une approche au cas par cas qui est menée, en particulier en lien avec la Croix-Rouge internationale, c’est une approche humanitaire qui est suivie et avec beaucoup de vigilance en lien avec tous les acteurs qui sont sur le terrain».
Depuis lors, seuls quelques enfants ont pu être rapatriés et confiés à des institutions ou des personnes de confiance, grands parents, oncles et tantes… Il a été souligné que le risque était grand de laisser ces enfants vivre dans des conditions épouvantables – plusieurs d’entre eux seraient décédés -, dans ces camps où les familles demeurent sous le contrôle de combattants détenus radicalisés.
Le Secrétaire général des Nations-Unies s’est prononcé sur la question en février 2020 : «Il est urgent de remédier à la crise humanitaire sur le terrain et de prévenir les risques d’évasion, de radicalisation et de violence dans ces camps». Il appelait les États «à assumer leurs responsabilités premières vis-à-vis de leurs ressortissants, s’agissant de la protection, du rapatriement et des poursuites pénales, conformément à leurs obligations au regard du droit international». À sa demande, une haute fonctionnaire de l’ONU est intervenue pour déclarer notamment «qu’abandonner à leur sort les milliers de femmes et d’enfants associés à [l’État islamique], aujourd’hui entassés dans des camps de fortune et confrontés à la menace d’une radicalisation, serait non seulement contraire aux principes d’humanité mais aussi contre-productif pour les efforts de lutte contre le terrorisme».
DEI-France est la section française de l’ONG Défense des enfants international, basée à Genève. Elle a contribué à l’écriture de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) et s’est donnée pour mission d’en contrôler le respect par les États membres ainsi que ses protocoles additionnels.
Le second protocole additionnel concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés prévoit notamment en son article 6-3 : «Les États Parties prennent toutes les mesures possibles pour veiller à ce que les personnes relevant de leur compétence qui sont enrôlées ou utilisées dans des hostilités en violation du présent Protocole soient démobilisées ou de quelque autre manière libérées des obligations militaires. Si nécessaire, les États Parties accordent à ces personnes toute l’assistance appropriée en vue de leur réadaptation physique et psychologique et de leur réinsertion sociale».
Nous demandons à l’État de respecter les termes de ce traité qu’elle a ratifié.
Vous avez été interpellé sur la question du retour de tous ces enfants par le Comité des droits de l’enfant des Nations unies et également par la Défenseure des droits. D’autres États européens ont entrepris ces rapatriements sans que des difficultés se présentent et sans que soit répétée la présence de ces « bombes à retardement » alors que c’est le maintien d’enfants dans les camps en Syrie qui représente un danger pour cette génération.
Nous sommes bien conscients que, s’agissant du sort des enfants, les priver de leur mère, le parent d’attachement qui les a soutenus durant toutes ces épreuves, constituerait un traumatisme supplémentaire. Chaque cas doit être travaillé en amont, avec les familles demeurant en France, avec les institutions de protection de l’enfance susceptibles de les prendre en charge ou de leur accorder un accompagnement éducatif, sans omettre que les traumatismes qu’ils portent doivent faire l’objet de soins particuliers et constants, en conformité avec l’article 39 de la CIDE. Nous sommes également bien conscients que des adultes devront répondre de leurs actes devant nos tribunaux.
Nous en avons la possibilité en France. Si l’on considère ce qui a été fait au terme de la seconde guerre mondiale par les Alliés lorsqu’ils ont pris en charge la réhabilitation de la jeunesse allemande engagée dans la Hitlerjugend, on doit bien croire que les ressources de la sixième puissance du monde et le professionnalisme de l’encadrement médical et éducatif devraient pourvoir à ces besoins… si l’on y consacre quelques moyens.
Aussi, Monsieur le Président, à l’orée de votre second mandat, nous vous prions d’agir et de faire en sorte que cette question touchant à une extrême violation des droits de l’enfant soit résolue par la mise en oeuvre des rapatriements. Si ce n’était le cas, on pourrait entendre la France accusée d’abandonner ses enfants.
Je vous remercie de l’attention que vous porterez à la présente et vous prie de croire, Monsieur le Président, à mes sentiments de haute considération.
Jean-Luc Rongé
Président de DEI-France
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