Monsieur le Président,
DEI-France est la section française du mouvement mondial Défense des enfants international fondé en 1979. Il a contribué à l’écriture de la Convention des droits de l’enfant (CIDE). Depuis nous nous sommes donné pour mission d’en contrôler le respect par les États parties.
À ce titre, nous comptons attirer votre attention sur trois situations qui interpellent et paraissent en violation avec les termes de la CIDE et d’autres instruments internationaux.
1°) La déportation d’enfants ukrainiens et leur adoption par des familles russes.
Depuis l’invasion de l’Ukraine par les troupes russes et le contrôle par cette armée de parties du territoire envahi, nombre d’enfants ont été envoyés vers la Russie, sans le consentement de leurs parents. Selon l’enquête de l’université américaine Yale, cette déportation a débuté dès le début de l’intervention et ferait partie d’un système planifié par l’État russe.
Les autorités ont simplifié l’octroi de la nationalité russe à ces enfants par décrets des 25 mai et 11 juillet 2022, facilitant ainsi les procédures d’adoption pour les familles russes. Cette pratique qui concerne plusieurs milliers d’enfants fait actuellement l’objet d’investigations internationales dont celle de la Cour pénale internationale (CPI). 13 000 d’entre eux auraient déjà été identifiés.
Non seulement une telle action viole la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (9 décembre 1948, ratifiée notamment par la Russie) dont l’article II, e) proscrit le «transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe», mais également l’article 11-1 de la CIDE qui prévoit «Les États parties prennent des mesures pour lutter contre les déplacements et les non-retour illicites d’enfants à l’étranger» et son article 21 qui prévoit que l’adoption soit autorisée pour autant que «les père et mère, parents et représentants légaux (…) ont donné leur consentement à l’adoption en connaissance de cause, après s’être entourées des avis nécessaires» et son protocole concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants qui impose aux États parties de prendre toutes les dispositions pénales nécessaires à l’égard des pratiques «en violation des instruments juridiques internationaux relatifs à l’adoption» (art. 3).
Nous vous prions, Monsieur le Président, de faire tout ce qui est nécessaire pour que l’instruction de ces crimes soit facilitée, en engageant à suffisance des enquêteurs français dans les recherches entreprises par les organes internationaux, notamment la Cour pénale internationale.
2°) Pour une commission d’enquête parlementaire sur les pratiques illicites dans l’adoption internationale en France.
Une récente «Étude historique sur les pratiques illicites dans l’adoption internationale en France», rédigée par MM. Yves Denéchère et Fábio Macedo de l’Université d’Angers, révèle que le ministère des affaires étrangères aurait couvert durant plus de trente ans les faits dénoncés à la mission de d’adoption internationale (MAI) par les services consulaires français à l’étranger. Cette étude relate qu’une quinzaine d’organismes autorisés pour l’adoption (OAA) ont organisé des adoptions frauduleuses au regard de nos lois et nos engagements internationaux, notamment la Convention de La Haye sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale, la Convention relative aux droits de l’enfant, et le protocole à cette convention concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants.
Il y est question de rapts, de fabrication de faux orphelins, d’abandons forcés de nouveaux nés, touchant nombre de pays, comme le Cambodge, le Vietnam, le Sri Lanka, le Chili, le Paraguay, le Pérou, le Brésil, le Guatemala, Madagascar…, avec, à la clé, l’organisation d’un «véritable marché» engendrant des sommes considérables. La France ne peut se passer d’une introspection sur des pratiques illicites qui auraient été couvertes par des autorités publiques.
Le 13 février dernier DEI-France a appelé à la constitution immédiate d’une commission parlementaire d’enquête sur les faits dénoncés par le rapport des universitaires pour que celle-ci entende les responsables publics comme ceux des associations mises en cause et, également, les associations défendant les droits de l’enfant qui dénoncent depuis longtemps le «marché» de l’adoption internationale. Des courriers ont été envoyés en ce sens à Madame la Secrétaire d’État à l’enfance et aux députés membres de la Délégation parlementaire aux droits de l’enfant récemment constituée.
Nous vous prions, Monsieur le Président, d’appuyer cette initiative d’autant que les faits dénoncés dans ce rapport se sont produits depuis les années 80, et que seize ministres se sont succédés aux affaires étrangères durant cette période.
3°) Pour un retour rapide des enfants demeurant détenus dans les camps de prisonniers en Syrie.
Sous votre autorité, des enfants de nationalité française, retenus dans cette zone du territoire syrien , ont commencé à être rapatriés en France et confiés aux services chargés de la protection de l’enfance ou à des membres de leurs familles. Dans nombre de cas, ils doivent être suivis aux fins de traiter les traumatismes dont ils sont porteurs.
Selon des chiffres difficilement vérifiables, il en resterait quelques 200 exposés à l’embrigadement, la violence, la maladie, voire la mort alors que les principaux fiefs de l’État islamique ont été vaincus depuis bientôt six ans. Les lieux de détention demeurent sous la menace d’attaques djihadistes, voire d’interventions militaires extérieures.
Outre l’obligation essentielle de l’État de protéger ses nationaux, le second protocole additionnel à la Convention des droits de l’enfant concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés prévoit notamment en son article 6-3 prévoit : «Les États Parties prennent toutes les mesures possibles pour veiller à ce que les personnes relevant de leur compétence qui sont enrôlées ou utilisées dans des hostilités en violation du présent Protocole soient démobilisées ou de quelque autre manière libérées des obligations militaires. Si nécessaire, les États Parties accordent à ces personnes toute l’assistance appropriée en vue de leur réadaptation physique et psychologique et de leur réinsertion sociale».
Nous demandons à l’État de respecter les termes de ce traité qu’il a ratifié et de suivre la décision récente de la Cour européenne des droits de l’Homme qui condamné la France (CEDH, 282, 14.09.2022), ainsi que les recommandations du Comité des droits de l’enfant des Nations unies selon lequel la France viole droit à la vie de ces enfants, ainsi que leur droit à ne pas subir de traitements inhumains et dégradants (F. B. and others v. France, communications n°77/2019, 79/2019 and 109/2019) et de la Défenseure des droits dont le communiqué du 29 avril 2022 rappelle votre engagement, le 14 mai 2019, à ce qu’il n’y ait pas d’enfant dont il serait admissible que la protection ne soit que relative ou dégradée face à un risque pour leur vie, où qu’ils se trouvent «qu’ils fussent à l’autre bout de la planète».
Nous comprenons les difficultés d’organiser ces rapatriements. Toutefois, les récents retours d’enfants établissent qu’il n’y a pas d’impossibilité. À plusieurs reprises, l’armée française et les services de l’État ont entretenu des rapports étroits avec les autorités qui, de fait, dirigent cette portion de l’Est du territoire syrien, notamment pour présenter des détenus aux autorités judiciaires irakiennes.
Aussi, nous vous croyons soucieux du sort de ces enfants et vous prions de mettre tout en oeuvre pour que les services de l’État fassent ce qui est possible pour procéder à ces rapatriements, y compris de ceux qui, enfants, sont arrivés dans cette zone et qui sont désormais majeurs selon la loi française, eu égard à la longueur de leur détention.
Nous croyons bien que ces trois situations retiendront une attention particulière de votre part et que demeurez attaché au respect des instruments nationaux et internationaux garantissant les droits fondamentaux des enfants.
Nous vous prions de croire, Monsieur le Président, à nos sentiments de haute considération.
Pour DEI-France
Jean-Luc Rongé,
président
